Adora Monségur a consacré une grande partie de sa carrière à Emmaüs Habitat. Elle garde un souvenir indélébile de ces années d’action sociale.
“Je suis entrée chez le bailleur social, qui à l’époque s’appelait Emmaüs HLM, sur un poste d’enquêtrice sociale. Le jour de mon arrivée, l’équipe organisait la galette annuelle. Je suis tombée sous le charme de l’Abbé Pierre, présent pour raconter son année et son voyage au Bangladesh. J’aurais pu l’écouter pendant des heures ! J’ai découvert un monde dont j’ignorais l’existence, une solidarité que je ne connaissais pas.”
“Mon travail consistait à réaliser des enquêtes pour les personnes endettées ou en demande de logement. En 1979, mon fils est décédé à son retour de l’armée. Ce furent des moments terribles, et l’Abbé Pierre m’a beaucoup aidé : c’est lui qui a donné la messe et qui m’a accompagné au Père Lachaise. À partir de ce moment-là, il a toujours été présent dans ma vie. La délinquance était importante dans certaines cités, et il m’a proposé de m’occuper des jeunes. J’ai accepté, et c’est devenu ma mission jusqu’à mon départ en retraite.”
“Nous étions des précurseurs”
Celle qui est devenue assistante sociale se souvient de ses débuts avec les adolescents des résidences Emmaüs. “J’allais dans les cités pour échanger avec eux, voir ce qu’il était possible de mettre en place. Un été, je suis partie en vacances en Corse avec des amis pour faire du camping sauvage. Ça m’a montré qu’il était possible de tout faire en partant de rien ! Nous avons décidé d’emmener un groupe en vacances dans un village près de Montargis.”
“Les jeunes étaient logés sous des tentes prêtées par l’armée, sur le stade de foot de la commune. Nous avons démarché la pharmacie, qui nous a donné des produits d’hygiène. Dès lors que nous prononcions le nom de l’Abbé Pierre, ça nous ouvrait toutes les portes ! Durant le séjour, une grande fête a été organisée, rassemblant de nombreuses personnalités politiques. Tout le monde voulait voir de ses yeux ce que faisait le bailleur Emmaüs. Nous étions des précurseurs.”
“Les jeunes se sont appropriés le lieu”
Adora Monségur a été marquée par un lieu emblématique : un ancien presbytère dans l’Aude, propriété du Mouvement Emmaüs. “Deux fois par an, nous organisions des séjours dans cette bâtisse à rénover. Les communautés donnaient aux jeunes ce dont ils avaient besoin. Il était impossible de tous les emmener, il fallait privilégier ceux qui ne partaient jamais en vacances. Les uns après les autres, ils ont appris à faire du carrelage, de la peinture, pour restaurer le lieu. Ce que nous voulions, c’est qu’ils fassent la même chose dans leur cité : construire au lieu de détruire.”
“Beaucoup étaient issus de l’immigration et ne passaient pas inaperçus dans le village ! Le maire était d’abord craintif, mais il a fini par partager régulièrement nos repas. Cette maison a été le fil conducteur de toutes nos colonies. Nous recevions à chaque fois la visite de l’Abbé Pierre et de nombreux journalistes de la région.”
“Transformer la violence en énergie constructive”
Beaucoup de projets ont marqué ces années d’investissement. “Je me souviendrai toujours du voyage à New-York. Le journal Vocable offrait la chance à 10 jeunes de partir découvrir la ville américaine. Ensemble, nous avons visité la communauté Emmaüs située dans le Bronx. Personne n’en est revenu intact ! Le magazine a également offert des séjours linguistiques, une chance pour tous ces jeunes.”
“À Bobigny, la délinquance était très présente. Nous avons voulu transformer la violence en énergie constructive en créant une salle multisport avec des équipements de boxe. Les jeunes ne semblaient pas intéressés, mais ils se sont finalement pris au jeu. Ça s’est fini par un voyage en Thaïlande. Nous avons même réussi à organiser un championnat du monde de boxe thaï dans la commune.”
Autre moment fort, la création d’un club de femmes à Aulnay-sous-Bois. “Tous les mois, nous mettions une ethnie à l’honneur, à travers la cuisine, la couture ou le sport. Ce club interculturel leur a appris à vivre ensemble. Beaucoup de barrières sont tombées, et beaucoup de femmes sont devenues amies ! D’ailleurs, Emmaüs Habitat nous a formés pour comprendre comment aborder chacune des ethnies présentes dans les logements. Ce genre de stage était très avant-gardiste pour l’époque.” Des dizaines d’autres actions ont été mises en place par l’assistante sociale, toutes orientées vers l’intégration des jeunes.
“Emmaüs Habitat a fait des choses fantastiques pour les jeunes”
Adora Monségur est consciente de la chance qu’elle a eue de croiser la route d’Emmaüs Habitat. “J’avais un bureau dans chaque cité. Nous n’avions pas besoin de demander des subventions à l’État, nous étions financés grâce au Mouvement Emmaüs. Tous ces projets d’action sociale ont rapproché les différentes branches de la famille Emmaüs.”
“Je travaillais la nuit, je n’avais pas peur, tout le monde me connaissait ! J’étais entourée d’une équipe de passionnés formés en même temps que moi à l’animation. Emmaüs Habitat nous a donné la chance de pouvoir nous occuper de ceux qui en avaient le plus besoin. J’avais perdu un enfant, mais j’en ai retrouvé plusieurs. Quarante ans après, je reçois toujours des messages de leur part pour la fête des mères.”
“Je suis fière d’avoir participé à l’histoire d’Emmaüs Habitat. Sans eux, je n’aurais pas survécu au décès de mon fils. Le bailleur HLM a fait des choses fantastiques pour les jeunes. Certains ont été embauchés comme gardiens, d’autres sont devenus éducateurs, j’ai l’impression d’avoir fait le job ! Cette expérience m’a aidé à vivre, m’a apporté une ouverture que je n’imaginais même pas.”