Aminata Koné a croisé le chemin d’Emmaüs Habitat sans y être destinée. Engagée bénévolement depuis 1984, elle se souvient de sa rencontre improbable avec le mouvement.
“J’étais diplômée de droit, mais je ne pouvais pas exercer, car je venais d’avoir un bébé. J’avais choisi d’élever ma fille et de quitter Rouen pour Paris avec mon compagnon. Je m’ennuyais beaucoup. Une amie m’a proposé de l’accompagner à Aulnay-sous-Bois, où elle avait fondé une association de femmes à la cité Emmaüs. Elle m’a mise en relation avec Colette, une employée d’Emmaüs Habitat qui a tout de suite vu qu’elle pourrait faire un bout de chemin avec moi. Je ne connaissais ni les banlieues, ni le logement social. J’arrivais dans un monde inconnu qui m’a d’abord choqué. L’environnement me semblait difficile à vivre, mais je me suis dit pourquoi pas, je vais venir aider puisque j’ai du temps !”
“J’ai trouvé un mode de garde pour ma fille et je suis venue chaque semaine aider des femmes dans leurs démarches administratives. Beaucoup ne parlaient pas le français. Je donnais à celles qui avaient le niveau les bases du droit du travail pour qu’elles puissent prendre leur autonomie. Mais l’échange n’était pas vraiment là. Colette a senti que j’étais prête à lâcher, alors elle m’a proposé de venir vivre à Aulnay. Mon mari avait toute sa vie dans le quartier de Bastille, mais il a tout de même accepté de me suivre dans ce choix qui me permettait de rester active. En m’installant à Aulnay, j’ai compris ce qu’était le logement social et ses difficultés. J’ai dit : “On va rester et on va se battre”. J’y suis restée de 1984 à 2007.”
“Nous avons développé l’accompagnement éducatif scolaire au sein de la cité”
Lorsque sa fille a pris le chemin de l’école, Aminata Koné a repris une activité professionnelle, mais elle n’a jamais lâché son engagement auprès des locataires. “J’ai connu Emmaüs Habitat à travers son action sociale. Les femmes que j’accompagnais en bénéficiaient. Le bailleur social est très proche de ses locataires, il a une sensibilité différente des autres. Il accueille des personnes avec des difficultés économiques, de grandes familles, et propose beaucoup de choses pour les enfants. Nos premières actions portaient d’ailleurs sur l’éducation. Avec la Confédération Syndicale des Familles, une association familiale et de locataires, nous avons développé l’accompagnement éducatif scolaire au sein de la cité. Nous avons accueilli jusqu’à 79 enfants chaque semaine ! Maintenant, les enfants ont grandi, beaucoup sont diplômés d’écoles supérieures.Nous avons arrêté en 2015 lorsque le centre social s’est installé, nous avions fait ce qu’il fallait tant que l’État était absent.”
“J’ai passé près de 30 ans comme secrétaire générale de la CSF. Même si vous voulez arrêter, ça ne vous quitte pas ! Je continue à soutenir les locataires dans leurs démarches administratives, même si je ne vis plus dans le quartier : je suis présente tous les mercredis après-midi lors des permanences pour la prévention du surendettement.”
“Les locataires perçoivent cette humanité”
Aminata Koné a également fait partie de la Fondation Abbé Pierre durant plusieurs années. À ce titre, elle est désormais intégrée au conseil d’administration d’Emmaüs Habitat. “Je vois l’approche d’Emmaüs Habitat vis-à-vis de ses locataires à travers la manière dont se prennent les décisions. Pour le suivi des personnes en difficulté de paiement, par exemple. On a davantage d’assistantes sociales qui accompagnent ces personnes, on recherche ensemble des solutions. Je pense que les locataires perçoivent cette humanité, et savent qu’Emmaüs Habitat n’est pas un bailleur comme les autres.”
“Je préside aussi la commission d’attribution. Si nous avons deux candidats, nous essayons de privilégier la personne la plus fragile, parce que nous savons qu’aucun autre bailleur ne l’accueillera. Emmaüs Habitat est l’un des organismes d’Île-de-France à accepter le plus de personnes dans le premier quartile, c’est-à-dire en grande précarité. Pour autant, il faut s’assurer des équilibres pour la gestion de l’organisme.”
“Il faut apprendre à se battre intelligemment”
Pour Aminata Koné, la commission d’attribution relève parfois du casse-tête. “On ne peut pas s’habituer, car on sait que derrière, il y a beaucoup d’attente et beaucoup d’angoisse. La règle veut qu’il y ait au minimum trois candidats sur un logement. Certains sont en attente depuis très longtemps. Certains sont victimes de violences familiales ou conjugales. Il y a des enjeux forts pour que les enfants restent avec leurs familles.”
La militante est particulièrement marquée par les dossiers difficiles. “Le manque de revenus est un critère déterminant. Comment donner un logement à une famille quand on sait que 60 % de ses revenus vont aller dans le loyer ? Comment peut-elle manger, se soigner, payer ses autres charges ? Parfois, je retourne le dossier dans tous les sens, mais il n’y a rien à faire. On ne peut pas mettre quelqu’un dans un logement qui va le surendetter le mois suivant. Parfois il faut juste accepter qu’on n’a pas de solution. Quand on est membre du CA d’Emmaüs Habitat, il y a deux logiques qui s’affrontent : une logique gestionnaire et une logique qui défend les plus démunis. Mais quand je crois à la légitimité d’une situation, je ne lâche pas. Il faut apprendre à se battre intelligemment.”
“Une solidarité extraordinaire dans le logement social”
De ces années de vie à la cité Emmaüs, Aminata Koné garde l’humanité. “Il y a une solidarité extraordinaire dans le logement social. Je faisais partie des femmes actives toujours parties de la maison. Le soir, il n’était pas rare que je trouve une assiette de couscous sur ma table, car mes voisines estimaient que les enfants devaient y goûter. Je faisais la même chose ! Je ne participais pas toujours aux sorties d’école, puisque je savais que d’autres mamans étaient là pour veiller. Par contre, le soir, j’aidais la directrice de l’école à remplir des papiers, à se battre pour ses classes. Il y a eu des moments de vie extraordinaires que je ne retrouverai jamais nulle part. On pouvait partager du bonheur, mais aussi des choses dures.”
“Je me souviens d’une famille… La maman était morte en couche à la naissance de son fils. Un soir, alors qu’il était encore très jeune, j’ai vu le petit débarquer dans mon couloir. Il m’a dit “Mon père est mort”. Il disait cela d’une façon détachée, il ne comprenait pas ce qu’il disait. Je n’oublierai jamais ce moment. La solidarité autour de cette famille n’a pas faibli et leur a permis de passer le cap. Malgré les images négatives qu’on peut avoir du logement social, il y a beaucoup d’humanité, même si aujourd’hui la vie est plus dure et la pauvreté plus marquée.”
“Ce qui me motive, ce n’est que la justice”
Aminata Koné a toujours choisi le camp des plus faibles, pris son rôle au sein d’Emmaüs Habitat très à cœur. “Je me suis bagarré contre le bailleur au moment de la 1ère réhabilitation, car j’estimais que les travaux présentés apportaient peu d’amélioration pour les locataires. Je me suis bagarrée contre l’augmentation des loyers, ce qui a amené Emmaüs Habitat à rétropédaler et à baisser de moitié les augmentations. Ce qui me motive, ce n’est que la justice.”
“Aujourd’hui, le bailleur est encore en train de rénover au profit des locataires et je dis chapeau ! J’ai beaucoup d’estime pour l’équipe. Je leur dis toujours : “Nous sommes dans le même bateau” ! Les familles ont besoin de ces logements, ont besoin que l’action sociale se développe encore. Revendiquer, ce n’est pas péjoratif, c’est toujours pousser l’autre à l’excellence.”