Voilà bientôt 50 ans que Laurent Desmard a intégré le Mouvement Emmaüs. Celui qui a été secrétaire personnel de l’Abbé Pierre porte un regard bienveillant sur son parcours.
“Je suis rentré à Emmaüs en 1974 comme volontaire pour la communauté de Brest. J’y suis resté pendant trois ans, avant de partir travailler à l’extérieur. En 1977, j’ai pris la tête de la communauté Emmaüs de Peltre, en Moselle, puis celle de Bougival en 1981. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à croiser régulièrement Emmaüs Habitat, qui partageait les mêmes bureaux qu’Emmaüs Solidarité à Paris. Nous construisions à cette période Emmaüs France, et le bailleur HLM s’est joint à nous dans cette aventure.”
“J’ai ensuite été nommé responsable du secrétariat international d’Emmaüs. Il fallait voyager dans des pays lointains, c’était incroyable, mais assez usant. C’est pour cela qu’en 1999, je suis allé trouver l’Abbé Pierre. Je le voyais vieillir, il avait beaucoup de difficultés à écrire des courriers, à gérer son calendrier. Je me suis mis à son service comme secrétaire particulier.”
“L’Abbé Pierre était quelqu’un de très attachant”
Ces huit années passées aux côtés de l’Abbé Pierre ont marqué Laurent Desmard. “Ensemble, nous avons beaucoup œuvré pour les sans-papiers. Je rédigeais ses courriers, j’interpellais avec lui les ministres. C’était quelqu’un de très attachant, qui prenait du temps pour écouter. Il avait une personnalité assez fragile. Il se lançait très aisément dans des bagarres, mais les difficultés rencontrées le mettaient K.O. Il n’était pas rare que je le retrouve en larmes, et il fallait l’aider à remonter la pente.”
“On disait de lui qu’il était un “voleur d’ennuis”, car il prenait les problèmes des gens et s’évertuait à les régler. C’était aussi quelqu’un de très impatient, qui aimait transgresser les règles. Un jour, il a demandé à Jacques Chirac un lieu pour poser une tente et réunir des personnes à la rue. Le Président lui a octroyé un espace sur le champ de Mars et il n’a pas hésité à envahir toute la pelouse !”
“Des personnalités fortes au sein d’Emmaüs Habitat”
Laurent Desmard a représenté l’Abbé Pierre au Conseil d’Administration d’Emmaüs Habitat durant de longues années. “Beaucoup de rencontres m’ont touché, il y avait des personnalités fortes au sein d’Emmaüs Habitat. Je pense à Georges Dunand, à Gilbert Santel, ou encore à Jacques Oudot. Un jour, il est venu me trouver, car il avait besoin de l’Abbé Pierre. Il se heurtait à des pratiques anciennes et avait besoin de remettre de l’ordre dans son organisation. J’ai facilité les rencontres pour que l’Abbé l’aide à remobiliser ses équipes.”
“J’ai beaucoup aimé travailler avec sa successeuse, Nelly Lordemus. Ensemble, nous avons fait en sorte que la Fondation Abbé Pierre devienne actionnaire majoritaire d’Emmaüs Habitat et que le bailleur social reste au sein du Mouvement. Je me souviens aussi d’une femme extraordinaire, Adora Monségur : assistante sociale, elle organisait des vacances pour les jeunes des cités dans les années 80. À chaque fois que je la croise, elle me dit combien elle est fière d’avoir appartenu à cette organisation.”
“Dans la ligne droite de ce que l’Abbé souhaitait”
L’inauguration du jardin de l’Abbé Pierre, au Plessis-Trévise, est l’un des souvenirs marquants de Laurent Desmard avec Emmaüs Habitat. “L’Abbé était en fauteuil roulant, et les gens venaient tous le saluer, le toucher. C’étaient principalement des musulmans. Ça m’a ému, je me suis dit : il se passe quelque chose de magnifique ici. Dans cette ville, les maires qui se sont succédé ont toujours été en lien avec Emmaüs Habitat et avec la communauté. S’il n’y avait pas eu Emmaüs, la ville ne serait pas la même, et je trouve cela magnifique. Il faudrait dire cela aux villes qui n’ont pas de logements sociaux.”
Aujourd’hui, Laurent Desmard est Président d’honneur de la Fondation Abbé Pierre. Pour lui, Emmaüs Habitat et la fondation poursuivent le même combat. “J’encourage le bailleur social dans sa lutte. Héberger de personnes en difficulté reste difficile, et l’amputation des APL ces dernières années a été un coup dur porté au logement social. Or, le logement est la base de tout : si on n’est pas logé, on ne peut ni accéder à la santé, ni à l’éducation, ni au travail. C’est pour cela qu’Emmaüs Habitat et la Fondation Abbé Pierre s’acharnent à produire du logement confortable et agréable pour les plus démunis. C’est magnifique, et c’est le cri du cœur de l’Abbé Pierre. Nos deux organisations sont dans la ligne droite de ce que l’Abbé souhaitait.”
“Il n’y a rien de trop beau pour les gens en difficulté”
“Il faut continuer à héberger le plus possible, à penser qu’il n’y a rien de trop beau pour les gens en difficulté. Je repense aux dernières paroles de l’Abbé Pierre. C’est assez incroyable, mais la première famille qu’il a aidée est aussi la dernière. En 1948, il avait soutenu une femme enceinte qui vivait sous une tente dans la forêt. Il a suivi son parcours durant des décennies, et un jour, sa petite fille est venue le trouver. Elle avait des enfants et allait divorcer. L’Abbé Pierre est tombé en larmes, il trouvait épouvantable que cette famille vive de nouveau des choses pénibles.”
“Il devait partir en vacances en Suisse, je lui ai proposé de les emmener. J’ai tout préparé pour que la famille puisse venir. Quand je lui ai dit que tout était prêt, il m’a pris la main et m’a dit : “Tu te rends compte de la chance que l’on a de pouvoir aider les autres ?” Il est décédé quelques semaines plus tard, la famille est partie en Suisse sans lui. Ce sont les dernières paroles que j’ai entendues de lui. Je les transmets à Emmaüs Habitat : c’est une chance de pouvoir aider les autres.”